Agba Jalingo libéré sous caution après trois jours en détention provisoire

Le 30 mars 2023, le tribunal fédéral d’Abuja, capitale du Nigeria, a libéré sous caution Agba Jalingo, journaliste et éditeur du journal en ligne CrossRiverWatch.com, détenu depuis trois jours. Sa caution a été fixée à 500 000 nairas (1 000 dollars américains) avec une garantie d’un montant équivalent.

Jalingo avait été placé en détention provisoire au centre de détention de sécurité moyenne de Kuje, à Abuja, le 27 mars 2023, pour avoir publié un article jugé hostile à l’encontre d’Elizabeth Ayade, épouse du frère cadet de Ben Ayade, gouverneur de l’État de Cross River, dans le sud-sud du Nigeria.

Lors du procès FHC/ABJ/CR/565/2022, le journaliste a été inculpé sous deux chefs d’accusation liés à la diffusion de fausses informations ayant pour but de causer « des désagréments, du tort et pour insulter » la personne d’Elizabeth. Il aurait commis une infraction punissable par mise en accusation en vertu de l’article 24(1)b de la loi de 2015 sur les cybercrimes (interdiction, prévention, etc.).

Lors de la comparution du 27 mars, Jalingo a plaidé non coupable lors de sa mise en accusation à la suite de quoi, l’avocat de l’accusation, maître Fidelis Ogbobe, a demandé un ajournement du procès. L’avocat de la défense, maître F Baba Isa, ne s’y est pas opposé mais a demandé que l’affaire soit suspendue parce que l’avocat principal, maître Marshal Abubakar, était sur le point d’arriver au tribunal.

Maître Ogbobe a affirmé que l’absence de maître Abubakar au tribunal était un stratagème de l’avocat de la défense pour reporter la mise en accusation de Jalingo et a demandé au tribunal de rejeter la demande de maître Isa. Maître Isa a continué à plaider pour que le tribunal ne fasse pas subir à l’accusé le « péché » de l’absence de l’avocat principal. Finalement, la juge Zainab Abubakar de la Haute Cour fédérale a refusé d’accéder à la demande de l’avocat de la défense de déposer une requête de mise en liberté sous caution, se ralliant plutôt à l’argument de l’accusation. Elle a donc ajourné l’affaire jusqu’au 30 mars 2023, afin que le tribunal examine la demande de mise en liberté sous caution de l’accusé. Toutefois, la juge a estimé que l’accusé devait rester en détention, en attendant qu’il remplisse les conditions de sa mise en liberté sous caution.

Lors de la reprise des débats le 30 mars, l’accusé, par l’intermédiaire de son équipe d’avocats dirigée par Femi Falana, a demandé à être libéré sous caution dans l’attente de la décision sur l’affaire le concernant. La juge Abubakar a accordé la libération sous caution et a ajourné l’affaire au 31 mai, date du procès.

Pourquoi Jalingo est poursuivi en justice

Selon un article précédemment publié par la MFWA, tout a commencé en mai 2022 lorsqu’un certain Paschal Aboh, professeur de droit à l’Université de Calabar, dans l’État de Cross River, aurait été arrêté pour s’être fait passer pour Elizabeth lors d’un examen à la Faculté de droit du Nigéria. Après avoir mené une enquête, Jalingo a publié un article le 24 juin 2022, dans lequel il indiquait qu’Aboh s’était effectivement fait passer pour Elizabeth lors de l’examen en question. Le journaliste s’est renseigné auprès de la faculté de droit sur les relations entre Elizabeth et Aboh, mais l’école a refusé de lui fournir des détails. Au lieu de cela, l’école l’a dirigé vers le procureur général de la Fédération, Abubakar Malami, ce qui revenait à chercher une aiguille dans une botte de foin.

Jalingo a indiqué qu’Aboh, le professeur, était poursuivi en justice depuis qu’il avait été démasqué et avait été suspendu par l’université de Calabar. Il a indiqué dans son article qu’il ne comprends cependant, pas pourquoi Elizabeth a été épargnée et n’a pas été poursuivie en justice.

Cependant, Elizabeth, par l’intermédiaire de ses avocats, Uyi Frank Obayagbona & Co, a nié l’allégation et a déposé une plainte pour diffamation contre Jalingo, demandant 500 millions de nairas (1,1 million de dollars) de dommages et intérêts au journaliste. Cette plainte a entraîné l’arrestation de Jalingo par la police en août 2022, mais il a été libéré sous caution un jour plus tard. Le 8 décembre 2022, l’auteur de la plainte a inculpé Jalingo, qui a comparu le 27 mars 2023.

« Cette situation signifie qu’il y a toujours des attaques contre la liberté de la presse au Nigéria. La presse n’est pas à l’abri des attaques, des intimidations et du harcèlement », a déclaré maître Isa à la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest par téléphone.

Une organisation à but non lucratif, la Coalition for Whistle-blower Protection and Press Freedom, (CWPPF), a également condamné la mise en détention provisoire de M. Jalingo et demandé une révision de la loi sur la cybercriminalité, qui est devenue un outil de répression de la liberté d’expression et de la liberté de la presse.

La MFWA considère les poursuites engagées contre Jalingo et les détentions en série liées à cette affaire comme une attaque flagrante contre la liberté de la presse et une tentative manifestement délibérée de museler le journaliste. La publication du journaliste sur la prétendue fraude aux examens, pour laquelle un suspect est jugé, peut, au pire, faire l’objet d’une action civile pour diffamation. Ce procès pénal est un acte de persécution auquel nous demandons aux autorités nigérianes de mettre fin.

La fameuse section 24(b) de la loi sur la cybercriminalité

L’article 24(b) de la loi de 2015, criminalise l’utilisation d’ordinateurs ou d’autres appareils pour transmettre des informations que l’expéditeur « sait être fausses, dans le but de causer une gêne, un désagrément, un danger, une obstruction, une insulte, une blessure, une intimidation criminelle, une inimitié, une haine, une mauvaise volonté ou une anxiété inutile à une autre personne ou de provoquer l’envoi d’un tel message ».

Selon la loi, toute personne reconnue coupable de cyberharcèlement risque jusqu’à trois ans de prison ou une amende de 7 millions de nairas (16 820 USD), voire les deux. Depuis la promulgation de la loi, de nombreux fonctionnaires l’ont utilisée pour harceler et arrêter des journalistes qui dénonçaient la corruption du gouvernement, les violations des droits de l’homme et d’autres problèmes ayant trait à l’intérêt public.

Le journaliste a été maltraité et déshumanisé pendant son incarcération. Lors des interviews, il a déclaré qu’à un moment donné, des gardiens de prison lui avaient enchaîné les deux mains à un congélateur pendant plus de deux semaines.

Après sa libération, la Cour de justice de la CEDEAO a décreté que lui soit versée une somme de 30 millions de nairas (65 000 dollars) à titre de compensation pour la déshumanisation dont il a été victime en prison. Jalingo a récemment déclaré à la MFWA que la compensation ne lui a toujours pas été versée.

La MFWA condamne la détention provisoire de Jalingo et demande sa libération immédiate. Les autorités doivent abandonner immédiatement toutes les charges retenues contre lui et lui permettre d’exercer son droit à la liberté d’expression tel que garanti par l’article 39 de la constitution nigériane.

Nous demandons également au gouvernement nigérian de réexaminer la loi sur la cybercriminalité et de veiller à ce qu’elle ne soit pas utilisée pour restreindre la liberté d’expression.

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