Agba Jalingo arrêté à nouveau pour avoir dénoncé un membre de la belle-famille d’un gouverneur nigérian

Trois ans après avoir été arrêté et détenu en raison de sa publication sur un cas présumé de corruption, Agba Jalingo, l’éditeur de CrossRiverWatch.com, un site d’information privé de Calabar, dans le sud du Nigeria, a été de nouveau arrêté et détenu par la police.

Cette fois, le journaliste a été appréhendé à son domicile de Lagos le 19 août 2022, à la suite d’allégations selon lesquelles il aurait tenu des propos diffamatoires à l’encontre de la belle-sœur du gouverneur de l’État de Cross River, Ben Ayade.

Toutefois, avant cette troisième arrestation, Jalingo avait tiré la sonnette d’alarme en annonçant sur sa timeline Facebook que la police assiégeait sa maison.

Il avait en outre allégué dans le même post Facebook que les policiers avaient pris en otage sa femme et sa fille au rez-de-chaussée de sa résidence et qu’il craignait pour sa vie.

« Je ne sais pas qui a envoyé la police mais ils ont retenu ma femme et ma fille en otage au rez-de-chaussée.  Je ne me sens pas en sécurité. Voici leurs visages », a-t-il posté, partageant une photo de quelques hommes en civil à la porte.

Plus tard, le journaliste a affirmé que les policiers avaient été envoyés d’Abuja, prétendument sur les ordres d’un certain Frank Ayade, frère du gouverneur de l’État de Cross River, Ben Ayade.

« Je dispose d’informations selon lesquelles la police a été envoyée d’Abuja et que le commissaire de police (CP) du service est au courant. Je ne sais pas ce que j’ai encore fait mais je crains pour ma vie », a écrit Jalingo sur Facebook.

« Ils ont été envoyés par Franko Ayade. Ils essaient de forcer l’entrée en ce moment même », a-t-il ajouté.

Peu de temps après que Jalingo a lancé l’alerte, son arrestation a été confirmée par CrossRiverWatch ainsi que par sa femme, Violet Agba, qui a affirmé que les policiers ont refusé de présenter un mandat ou un acte d’accusation avant d’arrêter son mari.

On a appris que le journaliste a été placé en détention au poste de police d’Alapere à Ketu, Lagos. Le lendemain matin, il a été transféré à Abuja, la capitale du pays.

Jonathan Ugbal, rédacteur en chef de CrossRiverWatch, a révélé par la suite que le jour même de l’arrestation de Jalingo, certains agents des forces de sécurité, qui seraient des policiers, ont également assiégé le bureau du média à Calabar.

Pourquoi le journaliste a été arrêté, selon la Police

Le 20 août 2022, un jour après l’arrestation, le commandement de la police du territoire de la capitale fédérale à Abuja a confirmé l’incident.

La porte-parole de la police, Josephine Adeh, a expliqué dans un communiqué que ces actions ont été entreprises après qu’une pétition a été déposée contre le journaliste par Elizabeth Ayade, l’épouse de Frank Ayade, le frère du gouverneur de l’État de Cross River, Ben Ayade.

« Le samedi 20 août 2022, [l’arrestation a en fait eu lieu le 19 août] Agba Jalingo a été arrêté par les agents du CID [Criminal Investigation Department] de l’État à la suite d’une plainte déposée contre lui par une certaine Elizabeth Ayade », indique le communiqué de la police.

« Il [Jalingo] a été arrêté pour avoir fait une fausse allégation, selon laquelle elle [Elizabeth Ayade] aurait payé un certain M. Pascal pour passer un examen à sa place, à la faculté de droit. »

« Dès que la plainte a été reçue, nous avons convoqué M. Jalingo. Cependant, il a refusé de se présenter, ne laissant d’autre choix à la police que d’obtenir un mandat d’arrêt, ce qui explique qu’il ait été arrêté à Lagos », a déclaré la police.

Adeh a ajouté qu’une enquête était actuellement en cours « et que les faits élucidés seront communiqués ultérieurement. »

Le contenu de la plainte

Le 6 juillet 2022, Elizabeth, par l’intermédiaire de ses avocats, Uyi Frank Obayagbona & Co, a écrit une lettre à Jalingo, demandant au journaliste et éditeur de retirer un post sur sa page Facebook portant atteinte à sa personne.

Dans ce post, M. Jalingo affirme qu’Elizabeth a payé un certain Pascal Aboh pour se faire passer pour elle lors d’un examen à la faculté de droit du Nigeria.

Dans ce message, Jalingo a allégué qu’Elizabeth avait payé un certain Pascal Aboh pour assumer son identité afin de passer pour elle un examen à la Nigerian Law School.

Aboh, professeur de droit à l’Université de Calabar (UNICAL), avait été arrêté pour usurpation d’identité lors d’un examen à la faculté de droit en mai 2022.

Le post de Jalingo se lit comme suit : « Pascal Aboh, le professeur de droit qui a été arrêté à la faculté de droit de Bwari, est allé passer cet examen pour la femme d’un politicien éminent d’Obudu, les détails à suivre. »

Le 24 juin 2022, Jalingo, dans une publication sur Facebook, a partagé la réponse de la faculté de droit nigériane après qu’il a demandé des informations sur les relations entre Elizabeth et Aboh.

Jalingo a déclaré que l’école de droit a refusé de fournir les informations sur l’identité du candidat pour lequel le coupable s’était fait passer. Cette information a été demandée par l’organe de presse auquel appartient Jalingo par l’intermédiaire de son avocat, James Ibor.

La faculté de droit a plutôt envoyé l’organe de presse vers le procureur général de la Fédération.

Depuis lors, Aboh, le maître de conférences, a été suspendu de l’UNICAL et est poursuivi devant un tribunal d’Abuja.

Par ailleurs, Elizabeth a nié l’allégation et demandé 500 millions de NGN (équivalant à 1,2 million de dollars américains) de dommages et intérêts à Jalingo.

La lettre de son avocat au journaliste est intitulée : « Publication diffamatoire sur Mme Elizabeth Aami Frank Ayade. »

Un passage de la lettre comprend ce qui suit : « Par votre dite publication, la réputation et la personne de notre cliente ont été sérieusement calomniées et endommagées par les propos diffamatoires, dont la nature est profondément affligeante et embarrassante pour notre cliente et sa famille. »

Jalingo libéré sous caution

Entre-temps, la police a libéré Jalingo dans la nuit du 20 août 2022.

Le journaliste a annoncé sa libération à travers un post sur sa page Facebook.

« La police accorde une libération sous caution à Agba Jalingo après l’avoir caché pendant des heures. Il a été remis à un proche qui a signé sa caution et a été prié de se présenter à nouveau au poste de police lundi [22 août] matin », peut-on lire dans le post.

Femi Falana, avocat spécialisé dans les droits de l’homme et membre du conseil d’administration de la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA), a déclaré que le harcèlement actuel de Jalingo, basé sur l’allégation selon laquelle il aurait diffamé la femme du frère d’un gouverneur en exercice, est le summum de l’impunité autorisée dans une société démocratique.

« La diffamation n’étant pas une infraction pénale, l’action de la police constitue une violation flagrante de la section 8(2) de la loi sur l’administration de la justice pénale de 2015 et de la section 32(2) de la loi sur la création de la police de 2020, qui a interdit à la police d’arrêter toute personne au Nigeria pour une faute civile ou une rupture de contrat », a déclaré Falana dans une déclaration.

Okechukwu Nwanguma, directeur exécutif du Rule of Law and Accountability Advocacy Centre, a également fustigé la police pour la détention de Jalingo.

« La police devrait cesser de donner l’impression qu’elle est à la disposition des politiciens ou d’autres personnes influentes pour leur règlement de comptes. Cela n’aide pas à redorer l’image de la police », a déclaré M. Nwanguma dans un communiqué.

Ce n’est pas la première fois que Jalingo est confronté à la répression de la part de la famille du gouverneur de l’État de Cross River. En 2019, le gouverneur Ben Ayade a causé l’arrestation du journaliste après la publication d’un article dénonçant le détournement par les autorités de l’État de fonds publics prévus pour la création d’une banque locale. Accusé de trahison, de terrorisme, d’acte délictueux et de tentative de renversement de l’administration du gouverneur de l’État de Cross River, Jalingo a été placé en détention provisoire à Calabar et libéré après avoir passé 179 jours en détention.

La Cour de justice de la CEDEAO a ensuite statué que le gouvernement nigérian devait verser à Jalingo une somme de 30 millions de NGN (l’équivalent de 71 000 dollars américains) en guise de compensation pour la déshumanisation dont il a été victime pendant sa détention.

Jalingo a également été arrêté en 2021 par des responsables du commandement de la police de l’État de Cross River au sujet d’une manifestation prévue le 12 juin.

En juin 2022, près d’un an après le jugement, Jalingo a confié à la MFWA que l’indemnisation n’avait pas été versée.

Au Nigeria, la diffamation a été dépénalisée par la jurisprudence, et les personnes qui se sentent offensées par les propos ou les publications d’autrui ont donc la possibilité d’intenter une action civile. La police se doit de prendre conscience de ce fait et de résister aux ordres des puissants d’arrêter, de détenir ou de harceler sous quelque forme que ce soit les journalistes, les organisations médiatiques et autres critiques. Nous demandons à la police d’abandonner toutes les charges contre Jalingo et nous exhortons la partie lésée à demander réparation par le biais d’une action civile, si elle estime avoir un dossier solide.

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