Trois Questions Majeures qui Façonnent l’Election Présidentielle de 2021 au Bénin

Le 11 avril 2021, la République du Bénin organise les élections présidentielles. Trois candidats, dont l’actuel Président, Patrice Talon, candidat à sa propre succession sont en lice. Les autres candidats dans la course présidentielle sont l’ancien ministre Alassane Soumanou Djimba des Forces Cauris pour un Bénin Emergent (FCBE), et Corentin Kohoué, une figure montante de l’arène politique béninoise.

Cette élection s’organise dans un contexte de détérioration des pratiques démocratiques et un recul de la situation de la liberté de la presse durant ces dernières années. Cet état des lieux est le résultat d’une augmentation des menaces à l’endroit des acteurs de la société civile, la fermeture de nombres de médias, et l’emprisonnement de plusieurs journalistes.

Selon Freedom House, la chute drastique des pratiques démocratiques au Bénin a fait passer le statut du pays en ce qui concerne les libertés démocratiques de libre à partiellement libre. Les rapports de monitoring de la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) ont également enregistré une baisse de la liberté d’expression dans le pays.

Dans un contexte pareil, les élections de 2021 détermineront l’avenir démocratique du pays. Déjà, l’atmosphère politique est de plus en plus tendu, avec l’emprisonnement de la candidate principale de l’opposition. Cet état des lieux soulève déjà plusieurs inquiétudes au sein de la classe politique Béninoise.

Les trois questions clés qui font polémiques dans le cadre des élections de cette année sont l’adoption d’un nouveau code électoral et d’un système de parrainage pour les candidats ; un contexte juridique étouffant la presse ; et la crainte d’une coupure d’internet avant et pendant l’élection.

Le nouveau code électoral

En novembre 2019, l’Assemblée Nationale du Benin a adopté un nouveau Code Electoral en vue de règlementer les élections futures dans le pays. Parmi les dispositions du nouveau code figure la création d’un poste de vice-président et l’instauration d’un système de parrainage qui exige que tous les candidats soient parrainés par au moins 10 % des élus du pays, maires et/ou députés. Actuellement, le Bénin compte 83 députés et 77 maires. Selon le nouveau code électoral, un candidat à la présidence doit obtenir au moins 16 parrainages des élus pour être éligible.

Selon nombres observateurs et analystes politiques Béninois, avec 100% des députés et 90% des maires soutenant le président, le nombre de parrains prévus par la loi ne laisse aucune possibilité d’alternance politique lors des élections d’avril. Cette situation a considérablement affecté le processus électoral.

L’architecture politique actuelle au Bénin découle des élections législatives de 2019 auxquelles aucun parti de l’opposition n’a été autorisé à participer en raison des critères d’éligibilité rigoureux. Cette situation a conduit à un parlement monocolore favorable au régime en place. En raison de la pandémie de COVID-19, et des tensions politiques subvenues suite aux élections législatives de 2019, l’opposition a boycotté les élections municipales de 2020, et n’a donc pratiquement pas de sponsors parmi les maires.

Le principal parti d’opposition du pays, les Démocrates, a rejeté le nouveau code électoral depuis son adoption et l’a décrit comme une stratégie pour le régime au pouvoir de choisir les candidats aux élections. En février 2021, l’organe de gestion des élections au Benin, la CENA a rejeté 17 candidatures, dont celles des principaux candidats de l’opposition. Toutes les demandes ont été rejetées principalement en raison du manque de parrainage. Le président Patrice Talon a toutefois obtenu à lui seule 118 parrainages.

Les Démocrates ont indiqué qu’ils avaient pris des mesures pour obtenir les parrainages des élus, mais ces derniers n’étaient pas libres de faire leurs choix pour parrainer un candidat capable de sérieusement défier le président. Les analystes politiques du pays ont surnommé ironiquement l’élection présidentiel de cette année du « Talon contre Talon ».

Alors que les tensions montent en flèche dans un contexte politique tendu, certains hauts responsables du parti d’opposition, les Démocrates, ont été arrêtés et poursuivis pour « financement de terrorisme », tandis que d’autres membres de l’opposition sont en fuite.

L’absence de l’opposition à la prochaine élection présidentielle risque de miner la crédibilité de l’élection et la légitimité du président élu. Sur le long terme, la non-participation de l’opposition au processus politiques et à la gouvernance dans le pays et l’absence de consensus politique sont susceptibles de limiter l’espace politique et de saper la démocratie.

Une industrie de la presse étouffée en vue de l’élection

Le paysage médiatique Beninois est diversifié et dynamique. Il est constitué de 70 stations de radio, de plus de 60 journaux et de 15 chaînes de télévision. L’organe en charge de la gestion des élections, la CENA a attribué à chaque candidat des temps d’antenne sur certains médias pour communiquer leurs projets de société à l’électorat.

En janvier 2021, la HAAC a adopté une décision visant à réglementer la période pré-campagne qui s’étend du 25 janvier au 25 mars 2021. La décision interdit aux médias de publier ou de produire tout contenu annonçant une candidature, faire des reportages d’activités organisées pour soutenir un candidat, ou des appels à soutenir un candidat, ou de la propagande au profit d’un parti politique.

Selon Guy Contant Ehoumi, ancien Président de l’ODEM, l’organe d’auto-régulation des Médias au Benin « cette décision constitue une limitation de la liberté de la presse et du rôle des médias dans la fourniture de l’information aux citoyens ».

Compte tenu du rôle que jouent les médias dans la fourniture d’informations pertinentes visant à éduquer les citoyens afin que ces derniers puissent prendre des décisions informées dans leurs votes lors des élections, le contexte actuel compromet clairement le rôle des médias et pourrait entraîner un faible taux de participation le jour du scrutin.

Depuis 2016, la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC), a procédé à la fermeture de plusieurs organes de presse, adopté des décisions répressives à l’égard de la presse. De nombreux journalistes ont été également traduits devant les tribunaux et jetés en prison.

La détérioration de la liberté d’expression et de la presse ces dernières années ont créé au sein des journalistes un état de peur, entrainant une baisse considérable du nombre de débats contradictoires et d’analyses critiques et pertinentes sur les enjeux principaux de gouvernance dans les médias.

Crainte d’une coupure d’internet

Les réseaux sociaux sont devenus essentiels pour la campagne électorale au Bénin. Depuis l’éruption de la pandémie de COVID-19, les dispositions relatives à la limitation des rassemblements sont toujours en vigueur. Par conséquent, les candidats font recours aux réseaux sociaux pour communiquer avec la population. Les principaux réseaux sociaux dans le pays sont Facebook, WhatsApp et Twitter. Selon les statistiques du internet world stats, 30% de la population du pays a accès à Internet dont 1,538,000 utilisateurs de Facebook.

En vue du scrutin, les autorités publiques du pays ont mis en garde contre la diffusion de fausses informations. La diffusion de fake news et la préservation de la sécurité nationale sont souvent citées par les gouvernements en Afrique comme des raisons justifiant la coupure d’internet. Face aux tensions politiques croissantes dans le pays et aux appels de l’opposition à des manifestations publiques massives, beaucoup craignent que l’internet soit coupé.

« Nous sommes vraiment inquiet car, avec le contexte politique actuel dans le pays, l’internet pourrait être coupé même avant les élections » a dit lors d’une interview avec la MFWA sous condition d’anonymité un journaliste Beninois.

En 2019, le gouvernement a procédé à la coupure d’internet suite ā des manifestations publiques massives pour protester contre des élections législatives controversées. Tout porte à croire que le contexte actuel présente une recette susceptible de résulter en une coupure d’internet.

À la lumière de ce qui précède, la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) exhorte toutes les parties prenantes du processus électoral au Bénin – gouvernement, opposition, médias, la CENA, les forces de l’ordre et organisation de la société civile – à prioriser le dialogue et mettre tout en œuvre pour une élection paisible dans le pays.

Plus précisément, la MFWA exhorte le Gouvernement béninois à créer d’urgence des espaces de dialogue avec l’opposition afin de trouver un terrain d’entente visant à faire baisser les tensions dans le pays ; adopter des mesures, y compris sur le plan sécuritaire visant à assurer la sécurité des médias dans la couverture des élections et de désister à la coupure d’internet avant, pendant et après les élections.

La MFWA exhorte également les médias à continuer de plaider pour la paix, la tolérance, et l’équité dans l’arène politique. L’organisation encourage les journalistes ā persévérer dans leurs efforts visant à fournir des informations crédibles, basées sur les faits en ce qui concerne le processus électoral et se mettre en sécurité lors de la couverture des élections.

En vue de pacifier la situation actuelle dans le pays, la MFWA appelle la CEDEAO, à exhorter le gouvernement béninois à recourir au dialogue avec l’opposition et à jouer un rôle de médiateur entre les deux parties pour sortir de l’impasse politique.

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