La crise du journalisme et de la liberté des médias au Ghana (1ère partie)

Au cours des deux dernières semaines, le paysage de la presse et de la liberté d’expression au Ghana a été aux prises de incidents majeurs. Un certain nombre de présentateurs radio et militants des droits civiques ont été arrêtés et traduits devant les tribunaux, principalement pour avoir publié ce qui est considéré comme de fausses informations ou des informations susceptibles de porter atteinte à la paix dans le pays.

Un présentateur radio a été emprisonné pour outrage à magistrat. Parallèlement, un journaliste a été impitoyablement battu par des policiers dans l’ouest du Ghana.

Les incidents récents ne sont pas uniques. Ils ne sont que l’amplification du déclin progressif mais précipité du Ghana vers une crise du journalisme, une oppression de la liberté de la presse et le musellement de la liberté d’expression.

La crise apparente actuelle représente un mélange toxique susceptible de nuire à la liberté de la presse et à la liberté d’expression au Ghana.  Elle est également susceptible de réduire à néant les modestes progrès réalisés par le Ghana en matière de consolidation de la démocratie, de paix et de sécurité. Car, si des propos imprudents peuvent porter atteinte à la paix du pays, toute tentative mal menée pour faire face à de tels propos par le biais des pouvoirs de l’État peut engendrer des tensions et des rancœurs excessives qui sont à leur tour susceptibles de porter atteinte à la paix du pays.

La situation à laquelle le pays est en butte doit de ce fait être traitée de toute urgence afin de restaurer pleinement le rôle et la valeur des médias et de la liberté d’expression au sein de la démocratie ghanéenne.

Ce dont nous sommes témoins est sans aucun doute la conséquence de la combinaison des trois facteurs critiques et généraux ci-après mentionnés dans l’économie politique de l’environnement de la presse et de la liberté d’expression au Ghana :

  1. Une vague de pratiques malavisées et non professionnelles dans les médias et par les médias ;
  2. L’absence d’institutions et de mécanismes de réglementation efficaces ;
  3. Une poussée phénoménale des cas de répression, d’oppression et d’intimidation par un gouvernement qui devient progressivement despotique plutôt que démocratique.

Dans cette première partie de ce qui sera une série d’analyses, j’examinerai le premier point, c’est-à-dire le phénomène des pratiques malavisées et non professionnelles dans et par la presse.

Comportements irresponsables dans et par la presse

Tout comme ailleurs dans le monde, le journalisme ou la pratique du journalisme au Ghana n’a jamais été parfaite.  Le métier, en tant qu’activité humaine, présentera toujours des erreurs ou des imperfections. Toutefois, au fil du temps, il semble que le respect des normes et de l’éthique par les professionnels des médias et les organisations médiatiques soit en chute libre.

Au nom de la liberté de la presse, il est désormais monnaie courante d’entendre ou de voir des personnes injurier sans fondement d’autres personnes à la radio, à la télévision ou en ligne. Des affabulations, des mensonges purs et simples ainsi que des allégations infondées sont perpétrés avec dédain dans certaines sections des médias. Ces actes suggèrent parfois que les lois du Ghana garantissent à la fois la liberté de la presse et son irresponsabilité.

En effet, la quasi-totalité des conduites malavisées dans la presse et par la presse se produit sur certains types de plateformes médiatiques, plus précisément les plateformes qui sont ouvertement partisanes et dont les propriétaires sont partisans de partis politiques. Ces organes de presse existent souvent, non pas pour faire du journalisme, mais pour servir les intérêts du New Patriotic Party (Nouveau parti patriotique – NPP) au pouvoir ou du National Democratic Congress (Congrès démocratique national – NDC), le principal parti d’opposition. Le plus important pour ces organes de presse, c’est l’intérêt partisan et non l’éthique journalistique.

Pour le compte du NPP, parmi les médias au langage outrancier figurent Oman FM, Womtumi Radio et leurs stations de Television affiliées.

Au Ghana, du côté du NPP, Oman FM, Womtumi Radio et leurs stations de télévision affiliées (NET2 TV et Wontumi TV respectivement) font entre autres partie de ces médias aux propos jugés outranciers. Quant au NDC, il s’agit de Power FM et d’Accra FM (et avant la décision du gouvernement Akufo-Addo de fermer de manière sélective les stations de radio de l’opposition avant les dernières élections, il s’agissait de Radio Gold et Radio XYZ), et de plusieurs autres organes de presse dans le pays.

Pour nombre de ces organes de presse partisans, la situation relève littéralement du « tout est permis », pour autant que cela serve les intérêts du parti politique des propriétaires. Le professionnalisme importe peu.  Les présentateurs de plusieurs de ces stations agissent comme si l’évaluation de leur performance était basée sur leur degré d’abus envers les membres du parti politique adverse.

Les dirigeants et les membres du parti au pouvoir, le NPP, y compris le président de la République, ont exprimé leurs préoccupations quant au manque de professionnalisme et à la conduite malavisée des médias. Il semble toutefois qu’ils ne s’inquiètent que lorsque ces comportements non professionnels se produisent sur les plateformes médiatiques de l’opposition. Lorsque les organes de presse, tels que Oman FM ou Wontumi Radio, qui leur sont alliés agissent de manière similaire, tout semble aller bien. Ils exècrent le manque de professionnalisme des médias de l’opposition, mais l’apprécient tout autant de la part des médias partisans qui leur sont alliés.

La situation n’était pas différente lorsque le NDC, le principal parti d’opposition était au pouvoir, excepté que le gouvernement de John Mahama était, il faut le reconnaître, plus tolérant à l’endroit des voix dissidentes.

Quelques Illustrations

De juin 2020 à mai 2021 par exemple, la Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) a fait le suivi des incidents de violations éthiques sur 10 stations de radio en langue locale basées à Accra. Au cours de cette période, un total de 1 754 incidents de violations des règles éthiques des médias a été enregistré sur les 10 stations de radio.

Comme le montre le graphique ci-dessous, 3 stations ont été à l’origine de 1 463 de ces violations, soit 83,4% des violations éthiques, il s’agit de Power FM, Oman FM et Accra FM.

Des rapports mensuels ont été publiés, mettant en évidence la fréquence élevée des violations des règles éthiques, en particulier sur les trois stations de radio. Des recommandations ont également été formulées chaque mois sur les mesures éventuelles à adopter pour palier ou remédier à la situation, mais personne n’en a tenu compte. Les directeurs des stations ne s’en souciaient pas, les organismes de réglementation non plus.  Les violations des règles éthiques se sont poursuivies sans relâche.

Un fois de plus, avant les élections de 2020, la MFWA a fait le suivi des contenus outrageux sur 60 stations de radio à travers le pays. 582 incidents de propos injurieux ou indécents ont été recensés et documentés. Les principaux types d’abus étaient les commentaires insultants et offensants, ainsi que les allégations non fondées.  Prière de vous référer au graphique ci-dessous pour la tendance sur les types de violations

De plus, les principaux auteurs de contenus abusifs sont les mêmes stations de radio partisanes. A vrai dire, cinq des 60 stations de radio suivies, notamment Oman FM, Wontumi Radio, Ash FM, Power FM et Accra FM, sont à elles seules responsables de 432 (74%) sur 582 des incidents de violations. Le tableau ci-dessous illustre le nombre de violations enregistrées sur chacune des cinq stations de radio partisanes.

Oman FM Wontumi Radio Ash FM Power FM Accra FM
126 99 87 85 32

La MFWA avait également identifié à l’époque les principaux auteurs de propos injurieux sur les réseaux. Parmi ces personnes figuraient les propriétaires des deux stations de radio les plus injurieuses (Oman FM et Wontumi Radio). En tant que pays, nous sommes restés les bras croisés malgré la présentation mensuelle de faits et de preuves issus du travail de suivi des médias.

Les trois stations les plus abusives appartenaient à des membres importants du NPP au pouvoir. Mais les dirigeants et les membres du parti et du gouvernement n’ont pas été perturbés. Ils ont vraisemblablement apprécié les épanchements malavisés, les fausses déclarations et les abus parce que les victimes de ces derniers étaient des membres du NDC.

À l’époque, les dirigeants et les membres du NDC ont également apprécié la conduite irréfléchie de leurs stations de radio partisanes. Les présentateurs les plus violents, dont Mugabe Maase et Oheneba Boamah Bennie, faisaient partie des personnes les plus populaires et les plus aimées des loyalistes et des fanatiques du NDC.

En tant que pays, nous avons fermé les yeux pendant que tous ces actes de manque de professionnalisme et d’abus étaient perpétrés, comme si de tels comportements n’avaient aucune importance pour notre démocratie, pour notre paix et notre sécurité, et pour la moralité de notre société.

Mais comment et par quelles actions en sommes-nous arrivés là? Qui peut et doit agir pour aider à corriger la situation ? Une tentative de réponse à ces questions essentielles fera l’objet de la deuxième partie de cette série tandis que la troisième partie se concentrera sur l’intolérance et les tendances despotiques du gouvernement en matière de liberté de la presse.

Par Sulemana Braimah, directeur exécutif de la MFWA

Partagez cette histoire!

Histoires liées