Pratiquer le journalisme dans les zones des conflits au Niger : l’impossible accès aux sources d’information

L’insécurité liée aux attaques des groupes terroristes au Niger frappe quatre régions ; Tillabery, Tahoua, Diffa et Maradi sur les huit (8) que compte le pays, depuis l’invasion par des groupes armés du Nord Mali. Exercer le métier de journaliste dans ce contexte est un réel défi tant la mobilité et l’accès aux informations sont restreintes du fait des mesures sécuritaires prises par le gouvernement.

L’Etat d’urgence instauré pour faire face à la crise sécuritaire donne des pouvoirs exceptionnels aux forces de sécurité sur les théâtres des opérations. On peut noter entre autres, celui d’ordonner des perquisitions à domicile ou de décider de la mobilité des populations dans les zones concernées.

Ce pouvoir exceptionnel ne facilite pas la recherche, la collecte, le traitement et la diffusion de l’information, d’autant plus que les populations se réservent de se prononcer sur la question sécuritaire de peur, d’une part de froisser les forces de défenses et de sécurité et d’autre part, d’être la cible des groupes armés qui mènent des attaques ciblées contre les populations qui les dénoncent.

Quête de l’information dans le contexte d’insécurité

Selon Ismael Saloua, expert sur les questions sécuritaires et des médias, « le journaliste doit avoir des canaux locaux crédibles sur les terrains dangereux auxquels, il ne peut pas accéder pour des raisons de sécurité, qui puissent lui remonter l’information ». Toujours selon Saloua « le journaliste doit avoir un carnet d’adresse dans les régions affectées qui pourront en cas de besoin lui fournir des éléments d’informations ».

Lorsque le journaliste décide d’aller sur le terrain, il doit le faire sous protection ou adopter quelques aptitudes élémentaires de sécurité.

Pour Lawan Boukar, journaliste indépendant, correspondant de DW au Niger, la collecte et le traitement de l’information en situation de crise sécuritaire, est très complexe.  « Les journalistes sont confrontés aux problèmes de sources d’informations. Les forces de défense et de sécurité ne donnent pas des informations. Souvent l’on est obligé de recourir aux sources locales, c’est-à-dire des informations qui nous viennent des populations. », affirme Boukar. Et d’ajouter que dans des régions comme celle de Diffa, l’une des quatre régions en proie aux attaques terroristes au Niger, il faut avoir un bon carnet d’adresses.

Difficulté de vérification des informations

Une autre difficulté que rencontrent les journalistes travaillant dans les zones de conflits, est souvent la confirmation de certaines informations. Après les attaques, le bilan local peut être parfois différent de celui donné par les sources officielles. « Je peux citer en exemple, une attaque menée par Boko Haram en 2018 à Bosso, et qui s’était soldée par une centaine de terroristes tués et des blessés du côté des forces de défense et de sécurité selon les sources locales. Le communiqué officiel des autorités fait état de 43 terroristes tués » a regretté le journaliste L Boukar.

En 2017, après l’attaque de l’île de Karamga (attaque qui a fait plus de victimes au sein de l’armée nationale), ‘‘il a fallu plus de 72h pour que le gouvernement donne le bilan. Tandis que 24 heures après l’attaque, nous avions eu le bilan suite au recoupement à partir des sources locales’’ a-t-il ajouté.

Que faut- il pour un reportage dans les zones de conflit ?

Les journalistes qui se déploient dans ces zones sont taxés tantôt des complices des forces de sécurité, tantôt en collision avec les groupes armés terroristes. Il faut être très aguerri et avoir beaucoup de patience pour travailler comme journaliste dans les régions d’insécurité.

« Dans des zones de conflits, il ne faut jamais se déplacer ou se faire transporter par les Forces de Défense et de Sécurité dans la recherche d’informations ; utiliser toujours des véhicules particuliers pour se déplacer à l’extérieur des villages. C’est une façon d’avoir la confiance des populations. » affirme Boukar, le correspondent du studio Kalangou.

Il ajoute qu’il faut « utiliser l’anonymat lors des entretiens afin de sécuriser les intervenants, surtout quand on sait que même la population n’est pas à l’abri des exactions de Boko Haram et des autres terroristes ».

Outre cela, les journalistes qui travaillent sur les questions d’insécurité liées aux attaques terroristes font face à plusieurs cas de rétention de l’information de la part de certaines autorités.

Fausses informations : Collaboration journalistes et forces de sécurité

Au Niger, malgré les difficultés d’accès liées aux sources d’information, les autorités en charge du ministère de la défense ont montré leur disponibilité à œuvrer, de concert avec tous les acteurs, pour faciliter le travail des médias.  Plusieurs rencontres ont regroupé les forces de sécurité, la société civile et les médias pour faciliter la communication en temps de crise.

Ces initiatives visaient à trouver un mécanisme idoine pouvant amoindrir la persistance des attitudes de méfiance. Les journalistes et les médias sont considérés dans ce contexte comme des acteurs actifs et stratégiques.

« Le Niger et la sous-région Ouest Africaine sont confrontés depuis quelques années, à des défis sécuritaires multiples. Dans ce contexte, les médias sont des acteurs stratégiques et leur rôle est déterminant dans le traitement de l’information sécuritaire » a relevé Ibrahim Harouna, Président du Conseil d’Administration de la Maison de la Presse.

Cependant, dans le contexte de crise sécuritaire multiforme, plusieurs obstacles freinent la collaboration entre Forces de Défense et Sécurité (FDS) et acteurs des médias.

« La persistance des attitudes de méfiance entre les FDS et les acteurs de médias recommandent de repenser la collaboration de manière à tirer profit de leur interaction et de leur complémentarité, afin que les populations soient informées avec professionnalisme et responsabilité sur les questions de sécurité et de la défense » a fait remarquer Abdoulrazack Idrissa, président l’Association des Journalistes pour la Sécurité et les Migrations.

A cet effet, l’association avait organisé sur la facilitation des échanges entre les Forces de défense et de sécurité (FDS) et les acteurs des médias pour trouver les meilleurs voies et moyens d’une collaboration.

Pour Abdoulrazack Idrissa qui cite les résultats d’une enquête « parmi les facteurs qui rendent difficile cette collaboration, il faut également noter la méconnaissance réciproque des rôles et des responsabilités des acteurs et le faible degré de compréhension des facteurs d’insécurité devenus très complexes et variés. Pourtant, les deux acteurs ont aujourd’hui plus qu’hier des problématiques communes qu’il faut régler : les fakes-news et les informations sur les réseaux sociaux ».

Conclusion et recommandations

Les Forces de défense sont très méfiantes vis-à-vis des journalistes et des médias, qui sont pour elles très pressés pour avoir l’information et s’adonnent au sensationnel, juste pour le scoop. Pour les forces de sécurité, ces attitudes sont surtout préjudiciables aux efforts des acteurs de défense et de sécurité et ne cadrent pas toujours avec leurs principes et règles de fonctionnement.

Recommandations

Aux journalistes et les médias

  • Prioriser les mesures de sécurité dans le reportage sur les conflits ;
  • S’assurer d’être bien identifié par les forces de l’ordre lors des reportages pour avoir la protection des forces de sécurité
  • Traiter de façon professionnelles les sujets d’attaques terroristes tout en préservant la sensibilité du public et des victimes ;

Aux autorités et aux forces de sécurité

  • Faciliter l’accès à l’information par les médias pour permettre aux populations de s’informer et contribuer aux efforts de sécurité ;
  • Associer les médias aux briefings des mesures de sécurité et la sensibilisation de la population ;
  • Mettre en place des cellules d’appui psychologiques pour les reporters de conflits.

Aux partenaires au développement

  • Continuer d’appui les journalistes et les médias sur les renforcements de capacité journalistiques sur les sujets de sécurité et des conflits asymétriques ;
  • Accompagner les organisations des médias dans la collecte, le traitement et la diffusion de l’information.

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