Une énième suspension d’un journal, journaliste par l’instance de régulation du Togo

La Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest est très préoccupée par les suspensions azimutes des journaux au Togo et exhorte l’instance de régulation des médias à revoir ses copies par rapport à ces sanctions.

En l’espace de trois semaines, la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) a suspendu deux journaux pour un total de six mois en plus de la suspension d’un journaliste.

Le dernier journal à tomber sous la coupe de la HAAC est La Symphonie, reproché de manquements professionnels aux règles de déontologie et d’éthique de la profession de journaliste. L’accusation concerne des remarques critique de la suspension par la HAAC du journal The Guardian.

Le Journal La Symphonie a été suspendu le 3 novembre 2021 pour 2 mois à compter du 4 novembre pour avoir défendu The Guardian. Ce dernier a été suspendu pour quatre mois suite à un article sur la Covid-19.  Dans un communiqué en date du 12 octobre 2021, la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) a annoncé que le journal The Guardian et son directeur de publication, Ambroise Yawo Kpondzo, dont la carte de presse a été confisquée, sont suspendus pour quatre mois à cause d’une publication qualifiée par l’instance régulatrice de « fausses informations ».

Dans sa parution n°0126 en date du 26 septembre dernier, L’hebdomadaire avait fait des révélations sur une probable vaccination des élèves de 13 à 14 ans, indexant le Directeur d’un collège d’une banlieue de Lomé. Selon Badjibassa Babaka, rapporteur de la HAAC, l’article titré : « Vaccination forcée avec chars et fusils d’assaut au Togo : le régime en course pour le Prix Nobel de la paix », serait une information montée de toute pièce.

Lors d’une émission sur Kanal FM, une radio privée de la place, le journaliste de The Guardian, a confirmé les faits, appelant « les parents d’élèves, la société civile, les syndicats, les confessions religieuses à tout faire pour stopper cette dérive inacceptable ».

La HAAC lui a reproché d’avoir publié de fausses informations sur la campagne de vaccination et l’a convoqué pour une audition. Pour pouvoir se présenter dans les locaux de la HAAC, le journaliste devait disposer d’une passe vaccinale, ou d’un test PCR négatif.  Le journaliste, qui n’a pas encore été vacciné, fait alors face à un dilemme.  Ambroise Yawo Kpondzo se dit psychologiquement, physiologiquement et financièrement inapte pour l’une de ces deux conditions et n’a donc pas pu répondre à la convocation.

L’instance de régulation des médias, considérant le refus du journaliste de se soumettre à ses conditions comme un défi de son autorité et l’accusant de publication de fausses informations, suspend sa structure et lui retire sa carte de presse pour une durée de quatre mois. Cette décision de sanctionner The Guardian est, selon le rapporteur de la HAAC, proportionnelle à la faute commise.

23 jours plus tard, c’est le tour du journal La Symphonie de subir la foudre de la HAAC pour avoir mis en cause la suspension de The Guardian.

Dans un article titré à la Une « Suspension de The Guardian : Incompétences, vices de formes, abus de pouvoir, violation des droits fondamentaux du mis en cause, la HAAC :la force et le zèle érigés en droit », La Symphonie a critiqué vertement le président de la HAAC et accusé l’institution de violer régulièrement les droits fondamentaux de la presse.

Lors d’une audition du Directeur de publication de ce journal, Yves G. Galley, le 3 novembre dernier, la HAAC lui a reproché d’avoir insulté le président de l’institution, Poutalounani Télou et également d’avoir « traité les membres de la HAAC d’incompétents », ce qui constitue, pour l’instance de régulation, « un délit d’offense. »

A cet effet, la HAAC lui inflige une suspension de parution de deux mois, à partir de ce 4 novembre.

The Guardian et La Symphoniene sont pas les premiers journaux suspendus au Togo. En 2020, c’est le journal L’Indépendant Express qui s’est retrouvé entre les griffes de la HAAC qui lui a retiré définitivement son récépissé et celui de Carlos Komlanvi Ketehou, son directeur de publication. L’Indépendant Express avait publié un article dans lequel il a interpellé des femmes ministre pour vol de cuillères dorées lors d’un dinner.

Le 5 février 2021, c’est le bi-hebdomadaire l’Alternative qui a été suspendu par la HAAC pour une durée de 4 mois. Selon la HAAC, Ferdinand Ayité a été sanctionné pour avoir traité de « faussaire du gouvernement » et diffusé des fausses informations sur Me Kofi Tsolenyanu, ministre de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Réforme foncière.

Le 4 novembre 2020, malgré les révélations fracassantes sur de présumés détournements massifs de fonds dans le secteur de l’or noir, l’Alternative et son directeur de publication également ont été condamnés au versement de 4 millions Fcfa comme amende pour diffamation dans l’affaire dite « Petrolegate » qui les opposait à la famille Adjakly, dénoncée d’être impliquée dans un scandale d’importation de produits pétroliers.

Au Togo, les articles 25 et 26 de la Constitution constituent le socle de la liberté d’expression et de la liberté de la presse. De plus, le code de la presse et de la communication dépénalise les délits de presse et la détention. Cependant, il existe un code pénal dont l’article 498 pourrait être problématique. En vertu de cet article, un journaliste ou toute personne jugée coupable de publication ou de diffusion de fausses informations peut être poursuivi et condamné à une peine de six à deux ans de prison, assortie d’une amende de 500 000 FCFA (894 $ US) à 2 000 000 FCA (3 575 $ US).

En outre, l’article 25 de la loi sur la cybersécurité (loi n° 2018 – 026 du 07/12/18) est liberticide pour la liberté d’expression. Il prévoit des peines d’emprisonnement d’un mois à trois ans, ainsi que des amendes d’un million ($ US 1 787) à trois millions de francs CFA ($ US 5 362) pour toute personne reconnue coupable de fausses publications par le biais d’un système numérique.

Alors que ces lois peuvent être interprétées abusivement pour éradiquer toute publication ou opinion critique sous le simulacre de lutte contre les fausses informations et la désinformation, il est frappant de constater que la situation de la liberté de la presse dépend incontestablement du contexte politique. Ce dernier, au niveau duquel il est aisé de questionner l’indépendance des différents pouvoirs, laisse bourgeonner des violations de la liberté de presse à travers des harcèlements judiciaires et policiers, arrestations de journalistes dans le cadre de leur travail par la gendarmerie ainsi que des condamnations à des amendes pécuniaires exorbitantes (4 millions de francs CFA).

La Fondation des médias pour l’Afrique de l’ouest se joint au Patronat de la presse togolaise (PPT) pour condamner « avec la dernière rigueur, cette décision inique prise avec autant de légèreté dans un pays où aucune loi n’a pour l’instant rendu la vaccination obligatoire ». La MFWA dénonce toute tentative de museler la liberté de la presse au Togo.

La culture du journalisme d’investigation dans le pays est noyée par les pressions, les poursuites voire les sanctions auxquelles la soumet la HAAC, qui à son tour, manque d’indépendance comme est venu le rappeler la série de suspensions de journaux privés, dont la plus récente est celle du journal The Guardian et de son directeur de publication, Ambroise Yawo Kpondzo. Nous exhortons donc les autorités togolaises à prendre conscience des pratiques liberticides à l’égard de la liberté de presse dans le pays et à prendre les mesures idoines y remédier.

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