Traqué, battu et détenu, l’éditeur de WikkiTimes raconte son calvaire

Le 25 février, jour des élections présidentielles au Nigéria, Haruna Mohammed Salisu, l’éditeur de WikkiTimes, une plateforme d’investigation en ligne basée dans l’État de Bauchi, dans le nord-est du pays, a été arrêté par les services de sécurité du gouverneur Bala Mohammed alors qu’il couvrait l’évènement.

Le « délit » reproché à M. Salisu était d’avoir filmé un groupe de femmes manifestant contre le gouverneur sur le site d’un bureau de vote, une manifestation qui, selon le gouverneur, visait à compromettre ses chances d’être réélu.

Le gouverneur a également affirmé que Salisu avait été engagé par les forces d’opposition de cet État pour produire des reportages négatifs sur lui et ruiner ses chances lors du scrutin. Bien que ces affirmations n’aient pas été prouvées, le gouverneur a fait arrêter le journaliste, l’a placé en détention et l’a inculpé d’un chef d’accusation d’incitation au trouble de l’ordre public en vertu de l’article 114 du code pénal.

Le procès aura lieu le 19 avril, a déclaré M. Salisu à la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest.

L’origine de l’affaire

Avant le jour de l’élection, Salisu s’est vu obligé de quitter l’État de Bauchi en raison des attaques persistantes dont il faisait l’objet de la part du gouvernement de l’État en tant qu’éditeur. Son « péché » était que sa plateforme avait réalisé et réalise encore de nombreux reportages d’investigation dénonçant la corruption des fonctionnaires de l’État.

Salisu a déclaré qu’il avait décidé de retourner dans l’État pour aider son équipe à couvrir les élections générales après avoir tenu une série de réunions éditoriales au cours desquelles il a été convenu que tout le monde devait mettre la main à la pâte pour assurer une couverture adéquate des élections.

« À mon retour dans l’État, j’ai décidé de me joindre à une équipe de journalistes et de ne pas y aller seul pour des raisons de sécurité. Le 25 février, jour de l’élection, j’ai donc conduit et garé ma voiture au bureau de l’Union des journalistes du Nigeria, puis j’ai rejoint d’autres journalistes dans un bus et nous nous sommes rendus à Duguri, la ville natale du gouverneur, dans la zone administrative locale d’Alkaleri », a déclaré M. Salisu.

Lorsque les journalistes sont arrivés à Duguri, le gouverneur avait fini de voter et voulait partir, mais ils l’ont rapidement rejoint et lui ont demandé une interview, qu’il a accordée. Salisu a déclaré qu’après l’entretien avec le gouverneur, les journalistes se sont dispersés pour effectuer des reportages sur le terrain.

Ce faisant, M. Salisu a rencontré un groupe de femmes qui manifestaient contre le gouverneur. Lorsqu’elles l’ont vu et ont remarqué qu’il était journaliste, elles se sont approchées de lui et lui ont dit qu’elles étaient contre le gouverneur parce qu’il n’avait pas tenu sa promesse de leur fournir un emploi.

« Elles ont dit qu’elles ne voteraient plus pour le gouverneur parce qu’il n’avait pas tenu sa promesse et je les ai filmées. Mais dès que j’ai terminé, des voyous se sont approchés de moi et m’ont demandé pourquoi je suis allé vers les manifestants, en me demandant si je voulais mettre le gouverneur dans l’embarras dans sa ville natale, bla-bla-bla. Ils ont tenté de s’emparer de mon téléphone. »

« Ayant le sentiment qu’ils pouvaient me faire du mal, je leur ai dit que je faisais partie de l’équipe du gouverneur et que je ne ferais rien qui puisse lui nuire. Ils m’ont donc laissé tranquille. Après l’altercation, je me suis dirigé vers le gouverneur », a raconté M. Salisu.

Agression, arrestation, détention

« Soudain, l’un des membres de la garde rapprochée du gouverneur m’a empoigné avec force », a raconté M. Salisu. « Il m’a demandé de déverrouiller mon téléphone, ce que j’ai fait. Il a visionné la vidéo des femmes manifestantes que j’avais réalisée et m’a reproché de vouloir discréditer le gouverneur. Il a dit que j’avais instigué les manifestations ».

Salisu a confié à la MFWA que lorsque le membre de la garde rapprochée l’a traîné jusqu’au gouverneur, les voyous qui l’avaient auparavant interrogé se sont jetés sur lui et ont commencé à le battre, le frappant avec diverses armes jusqu’à ce qu’il soit emmené par quelques officiers de police dans un poste de police voisin.

Quelques heures plus tard, M. Salisu a déclaré que le chef de la sécurité du gouverneur et quelques membres de sa garde rapprochée sont arrivés au poste de police et l’ont conduit au quartier général de la police à Bauchi City, où il a été placé en détention.

« J’ai été détenu par la police pendant trois jours, puis j’ai été traduit devant le tribunal, qui a ordonné mon placement en détention provisoire dans un établissement pénitentiaire. J’ai été libéré sous caution deux jours plus tard. J’ai appris que le gouverneur était furieux que le tribunal m’ait accordé la liberté sous caution », a déclaré le journaliste.

« L’affaire est en cours et je dois comparaître devant le tribunal le 19 avril. Ils ont dit que mon crime était d’avoir provoqué un trouble à l’ordre public », a ajouté M. Salisu.

Menaces contre la vie et la famille du journaliste

Lorsqu’on lui a demandé s’il espérait que le tribunal lui accorderait la liberté, M. Salisu a répondu par l’affirmative « parce que je sais que la justice triomphera toujours ».

Cependant, le journaliste a déclaré que sa principale préoccupation était d’apprendre de certaines sources que le gouvernement de l’État élaborait « des plans extrajudiciaires pour me mettre hors d’état de nuire ».

« J’ai des sources au sein du gouvernement qui m’ont transmis ces informations », a-t-il déclaré.

Avant même les élections, Salisu a déclaré que son père lui avait dit avoir reçu de nombreux appels de menaces de la part de personnes anonymes, disant au vieil homme qu’elles savaient où vivait son fils.

« Ils ont dit à mon père qu’il importait peu que je ne vive plus à Bauchi, que s’ils voulaient me coincer, ils le feraient. Ils ont dit à mon père de me dire d’arrêter de publier des ‘’absurdités’’ et que c’était le seul moyen pour moi d’avoir la paix », a déclaré M. Salisu.

Il a déclaré qu’il avait eu la chance que ses parents comprennent le type de travail qu’il fait et son importance pour l’humanité.

« Bien sûr, ils sont terrifiés, en particulier à cause des événements récents. Par exemple, lorsque j’étais en détention, ils n’ont cessé de pleurer. Ma femme et ma mère sont même tombées malades. Lorsque j’ai été libéré, mon inquiétude pour ma famille était grande ».

Déménagement de l’État de Bauchi

Salisu explique que le bureau de WikkiTimes est fermé depuis un certain temps, suite aux menaces et au harcèlement persistants de la part des autorités. Le personnel travaille à domicile et la direction envisage de quitter l’État hostile de Bauchi.

« Mon travail est source de chagrin pour ma famille et je m’inquiète pour eux. Les journalistes de WikkiTimes n’ont pas été épargnés et jusqu’à présent, ils ne sont pas allés travailler dans nos locaux. L’État de Bauchi devient de plus en plus dangereux pour nous, les journalistes », a déclaré M. Salisu, qui réside actuellement en dehors de l’État.

Une force motrice dans un climat d’intimidation et d’attaques

Malgré les attaques et les menaces, Salisu a déclaré qu’il continuerait d’avancer. Dès le début, lorsqu’il a choisi de faire du journalisme d’investigation, il savait qu’il y aurait de lourdes conséquences, comme c’est le cas partout dans le monde pour les journalistes d’investigation.

« Si vous produisez des articles qui obligent les gens au pouvoir à rendre des comptes, ils riposteront. Mais si vous prenez du recul et contemplez l’histoire, vous remarquerez que toutes les sociétés modernes que nous admirons aujourd’hui sont arrivées là où elles sont parce que certaines personnes se sont dressées, ont défié les autorités et ont exigé que les choses soient faites comme il se doit. » a-t-il déclaré Salisu.

Il a ajouté que « Le Nigeria est en difficulté aujourd’hui parce que nous avons des dirigeants toxiques qui tentent de se soustraire à leurs responsabilités et de voler nos richesses publiques. Les journalistes doivent leur demander des comptes. C’est mon rôle et je continuerai à le remplir quoi qu’il en coute »

Il a ajouté que ce qui le réconforte le plus souvent dans son travail, c’est le résultat qui en découle : « Chez WikkiTimes, nous avons réalisé de nombreux reportages d’investigation qui ont eu un impact presque immédiat. C’est ce qui nous fait avancer en tant que media en ligne ».

Toutefois, en raison de préoccupations liées à la sécurité, M. Salisu a indiqué que le média envisageait de déménager de l’État de Bauchi.

« Nous disposons de plusieurs sources dans l’État, cela n’affectera donc pas nos reportages sur le terrain. Notre sécurité est désormais la plus grande priorité », a-t-il déclaré.

Le gouvernement de l’État de Bauchi n’a pas voulu répondre aux questions de la MFWA.

Share this story!

Related Stories