Élections de 2023 au Nigeria : la couverture médiatique sous le coup d’une répression en série

Le Nigeria organisera ses septièmes élections générales de l’ère démocratique en février 2023, et la période précédant le scrutin s’avère inquiétante pour les médias. Le président Muhammadu Buhari, un général à la retraite, a promis que l’un des héritages qu’il laisserait derrière lui serait des élections libres et transparentes, à l’instar de son prédécesseur, le Dr Goodluck Jonathan, qui a été reconnu pour avoir transmis le pouvoir après avoir organisé des élections sans rancœur.

Buhari a également présenté à plusieurs reprises son gouvernement comme celui qui défend la liberté de la presse et la liberté d’expression, et a récemment réaffirmé cette position dans le cadre de la préparation des élections de 2023.

Le Président Buhari a promis de superviser des élections libres et transparentes

« Nous devons rester unis et soutenir les professionnels des médias qui travaillent dur pour apaiser les conflits violents et promouvoir des sociétés pacifiques sans compromettre leur devoir d’information », a-t-il déclaré, promettant d’assurer la protection des droits et des privilèges des journalistes dans l’exercice de leurs fonctions professionnelles.

Mais jusqu’à présent, le gouvernement du président n’a absolument pas tenu ses promesses en matière de liberté de la presse. Au cours des derniers mois, depuis le lancement des campagnes pour les élections de 2023, la liberté de la presse et la liberté d’expression ont fait l’objet d’une répression, plusieurs responsables proches du président Buhari étant parmi les coupables.

Un conseil de campagne demande le licenciement de journalistes

Dans l’un des cas les plus récents, le Conseil de campagne présidentielle (PCC) du parti politique du président, le All Progressives Congress (APC), aurait demandé que les journalistes Shaka Momodu et Rufai Oseni du groupe Arise Media soient licenciés par leurs employeurs pour « reportage défavorable » sur le candidat présidentiel de l’APC, Bola Tinubu.

M. Momodu est chroniqueur et rédacteur en chef du journal THISDAY, tandis que M. Oseni est co-animateur de l’émission The Morning Show sur la chaîne de télévision du groupe, ARISE News.

Dans un éditorial commun publié le 12 décembre, les comités de rédaction de THISDAY Newspaper et d’ARISE News ont révélé qu’ils avaient reçu des appels de certains responsables de la campagne de l’APC qui n’étaient apparemment pas satisfaits du travail des journalistes Momodu et Oseni.

« Nous notons également que deux hauts responsables de la campagne de l’APC ont demandé séparément que nous retirions de leurs fonctions actuelles le rédacteur en chef et chroniqueur de THISDAY, Shaka Momodu et Osenide, le co-présentateur de l’émission matinale sur ARISE News, afin de mettre fin aux attaques ou d’obtenir un sursis d’une future présidence de Tinubu », peut-on lire dans un paragraphe de l’éditorial.

L’éditorial accuse spécifiquement le conseiller spécial du Conseil de campagne de l’APC pour les médias et la communication stratégique, Dele Alake, et le directeur des médias et de la publicité, Bayo Onanuga, de faire pression pour le licenciement des journalistes.

La Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) observe que le groupe de médias Arise a eu des problèmes avec l’APC et le camp du candidat Tinubu.

Dans la perspective des élections de 2023, ARISE News a organisé une série avec des assemblées publiques dans lesquelles les candidats à la présidence de tous les partis politiques sont invités à discuter de leurs projets et à partager leurs visions pour le peuple nigérian.

M. Tinubu, le candidat à la présidence de l’APC, a refusé de participer à ces réunions. Son équipe et ses partisans sur les médias sociaux ont à plusieurs reprises attaqué et accusé ARISE News de partialité.

En novembre, Alake, du conseil de campagne de l’APC, a rédigé une pétition contre ARISE News concernant des informations diffusées par la chaîne selon lesquelles l’arbitre électoral du pays, la Commission électorale nationale indépendante (INEC), envisageait d’enquêter sur Tinubu pour des affaires présumées de blanchiment d’argent et de trafic de drogue.

L’INEC a qualifié ces informations de fausses et l’autorité de régulation des médias, la National Broadcasting Commission (NBC), a infligé à RISE News une amende de 2 millions de NGN (4 500 USD).

Un étudiant militant arrêté et détenu

Un autre exemple qui montre clairement que la gouvernance de Buhari n’a pas tenu sa promesse de défendre la liberté d’expression est l’arrestation d’Aminu Adamu Muhammed, un étudiant de 23 ans en dernière année à l’université fédérale de Dutse, dans l’État de Jigawa, dans le nord-ouest du Nigeria.

Aminu Adamu Muhammed a été arreté pour avoir posté un tweet sur la premiere dame/Source : BBC

Muhammed a été arrêté le 8 novembre 2022 par des agents de sécurité fédérale présumés, prétendument sur ordre de l’épouse du président Buhari, Aisha. Le délit de l’étudiant militant etait d’avoir posté un tweet le 8 juin et dont la première dame s’est apparemment offusquée. Dans ce message, l’étudiant s’en prend à la première dame en haoussa : « Su mama anchi kudin talkawa ankoshi », ce qui signifie littéralement : « la mère s’est engraissée en mangeant l’argent des masses ». M. Muhammed a posté son tweet à côté d’une photo récente d’Aisha, désormais rondelette, par rapport aux photos largement diffusées de sa stature svelte lorsque son mari prêtait serment pour son second mandat en 2015.

Des témoins oculaires ont déclaré que l’étudiant avait été battu par les agents de sécurité avant d’être emmené du campus universitaire à Abuja, où il a été détenu dans une prison jusqu’au 2 décembre.

L’activiste et avocat Inibehe Effiong a déclaré que si Mme Buhari se sentait diffamée, elle aurait dû poursuivre l’étudiant pour diffamation, ajoutant que l’utilisation des forces de sécurité pour arrêter et détenir la victime était une preuve de la culture d’une impunité flagrante.

« L’article 39 de la Constitution de 1999 garantit la liberté d’expression. Il n’est pas acceptable de déployer l’appareil d’État d’une manière aussi draconienne, vindicative et oppressive que l’a fait Mme Aisha Buhari pour régler des comptes personnels », a-t-il déclaré.

Fermeture de médias

Le 15 octobre 2022, le gouvernement de l’État de Zamfara, dans le nord-ouest du Nigéria, a fermé quatre stations de radiodiffusion : trois chaînes de télévision et une station de radio, dans le but de supprimer la liberté de la presse à l’approche des élections de 2023.

Les stations concernées sont la Nigeria Television Authority (NTA) et Pride FM, qui appartiennent au gouvernement fédéral, ainsi que Gamji TV et Al-Umma TV, qui appartiennent au secteur privé. Toutes les stations sont situées à Gusau, la capitale de l’État.

L’interdiction des stations fait suite à leur couverture d’un rassemblement politique organisé par le parti d’opposition Peoples Democratic Party (PDP) dans l’État en question. Le gouverneur de l’État, Bello Matawalle, est membre de l’APC, le parti du président Buhari.

Toutefois, deux jours plus tard, après de vives réactions, Matawalle a annulé l’ordre de fermeture des organes de presse et a présenté ses excuses aux médias.

De la même manière, le 19 août, l’autorité de régulation de la radiodiffusion, la National Broadcasting Commission, a révoqué les licences de 52 chaînes de télévision et stations de radio. Des poids lourds comme African Independent Television et Silverbird Television, qui sont perçus comme étant proches de l’opposition, ont été touchés par le coup de massue de la NBC.

La NBC a déclaré que cette directive faisait suite à l’endettement des stations qui s’élevait à au moins 2,6 milliards de NGN (6,1 millions de dollars américains). La décision de l’autorité de régulation a cependant provoqué une vague de critiques de la part des défenseurs des médias et de la liberté de la presse, car beaucoup se demandent pourquoi la NBC a pris cette mesure à un moment où les gens ont besoin d’informations cruciales qui détermineront leurs choix lors des prochaines élections de 2023.

Le 29 août, la Haute Cour fédérale de Lagos s’est prononcée contre la décision du gouvernement nigérian de révoquer les licences des stations, soutenant que les médias jouent un rôle essentiel en tant que véhicule ou instrument pour l’exercice de la liberté d’expression et d’information dans le pays.

Agression de journalistes

Le 1er novembre, le chef de la majorité à la Chambre des représentants du Nigeria, Alhassan Doguwa, aurait agressé Abdullahi Yakubu, un journaliste travaillant pour le journal Leadership à Kano, la capitale de l’État de Kano, dans le nord-ouest du Nigeria.

Doguwa aurait donné un coup dans l’oreille droite de Yakubu lorsque le journaliste s’est approché de lui pour lui demander son avis sur un accrochage entre lui (Doguwa) et Murtala Sule Garo, le candidat de l’APC au poste de vice-gouverneur dans l’État de Kano.

Cependant, Doguwa s’est ensuite excusé auprès de Yakubu après que le journaliste l’ait traîné devant le tribunal de première instance de l’État.

Le 4 novembre, Kehinde Olatunji, reporter au journal The Guardian, a été agressé par Theophilus Akorede, un assistant du candidat au poste de gouverneur du Parti démocratique du peuple (PDP) dans l’État de Lagos, Olajide Adediran, plus connu sous le nom de Jandor.

Akorede aurait expulsé de force Olatunji du bureau de campagne d’Adediran parce qu’elle s’était assise sur le siège du candidat au poste de gouverneur. Olatunji a dû se rendre à l’hôpital pour y être soignée pour des douleurs mineures et un choc après la rencontre.

Le 9 novembre, Mary Chinda, journaliste à Arise News, une chaîne de télévision privée, a été blessée après que des voyous armés ont attaqué le convoi d’Atiku Abubakar, le candidat présidentiel du People’s Democratic Party aux prochaines élections de 2023 au Nigéria. L’attaque a eu lieu à Maiduguri, la capitale de l’État de Borno dans le nord-est du Nigéria et l’épicentre des activités du groupe terroriste Boko Haram.

Les médias jouent un rôle essentiel pendant les élections en surveillant et en rendant compte des processus afin d’en garantir la transparence. Ils offrent aux candidats des plates-formes pour diffuser leurs manifestes et modérer les discussions sur les différents enjeux. Lorsqu’ils sont attaqués, menacés ou harcelés, ils ne peuvent pas s’acquitter efficacement de cette fonction. L’affaiblissement de ce rôle crucial de gardien des médias ouvre la porte à des abus du processus électoral, avec d’éventuels résultats contestés.

Dans ce contexte, la MFWA appelle le gouvernement et tous les partis politiques du Nigéria à respecter la liberté de la presse et à veiller à ce que les journalistes puissent travailler librement et en toute sécurité avant, pendant et après les élections générales de février 2023.

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