L’autorité de régulation de l’audiovisuel nigériane impose une amende à Channels TV pour l’interview d’un candidat à la vice-présidence

Le 27 mars 2023, la Commission nationale de radiodiffusion (NBC), l’autorité de régulation de l’audiovisuel du Nigeria, a imposé une amende de 5 millions NGN (environ 10 500 dollars) à une chaîne privée, Channels Television, pour une interview de Datti Baba-Ahmed, candidat à la vice-présidence du parti politique le Labour Party, lors de l’élection présidentielle du 25 février 2023.

L’amende imposée par la NBC a été communiquée dans une lettre adressée au directeur général de la chaîne et intitulée « Broadcast of an Inciting Interview, A Sanction » (Diffusion d’une interview incitative, Sanction). Cette lettre a été signée par Balarabe Ilelah, directeur général de la Commission. L’autorité de régulation a déclaré avoir surveillé la diffusion de l’interview sur « Politics Today », une émission quotidienne du soir présentée par le journaliste Seun Okibaloye, le 22 mars 2023. Elle a déclaré que l’émission était dangereuse et susceptible d’inciter au trouble de l’ordre public et qu’elle enfreignait donc certaines sections du code de la radiodiffusion.

Dans ladite interview, qui a été visualisée par la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA), Baba-Ahmed a appelé le président Muhammadu Buhari et le président de la Cour suprême du Nigeria Olukayode Ariwoola à ne pas faire prêter serment à Bola Tinubu, le vainqueur de l’élection présidentielle du 25 février et candidat du parti au pouvoir, le All Progressives Congress (APC).

L’élection présidentielle a été considérée comme la plus controversée et la plus conflictuelle de l’histoire du Nigeria, marquée par la violence, la voyoucratie politique et le sectarisme religieux et ethnique dans de nombreuses régions du pays.

En fin de compte, M. Tinubu a obtenu 37 % des voix et a été déclaré vainqueur, selon les résultats annoncés par la Commission électorale nationale indépendante (CENI), chargée de l’organisation des élections. Atiku Abubakar, ancien vice-président et candidat à la présidence du Peoples Democratic Party (PDP), a obtenu 29 % des voix. Peter Obi, du Labour Party (LP), favori des jeunes, a recueilli 25 % des voix, arrivant ainsi en troisième position. Le PDP et le LP ont tous deux qualifié le scrutin de simulacre et exigé la tenue d’un nouveau scrutin.

Les commentaires de Baba-Ahmed

Dans le reportage du 22 mars sur Channels Television, le candidat à la vice-présidence du parti LP, Baba-Ahmed, a insisté sur le fait que l’élection présidentielle était truquée et a déclaré : « Quiconque fait prêter serment à Tinubu aura mis fin à la démocratie au Nigéria ».

« Monsieur le Président, n’organisez pas cette cérémonie d’investiture. Monsieur le Président de la Cour suprême, votre honneur, ne prenez pas part à cet acte anticonstitutionnel. Je prends ce risque pour le bien de mon pays », a déclaré Baba-Ahmed.

Datti Baba-Ahmed était le candidat à la vice-présidence du Labour Party lors des élections nigérianes de février 2023

« Oui, c’est radical et je le dis. C’était encore plus radical de la part de [Mahmood] Yakubu [le président de la CENI] de publier ce résultat. C’est imprudent. Il met nos vies en danger. Notre vie à tous. Je vous le dis, le 29 mai 2023, si vous faites prêter serment à Tinubu, vous aurez mis fin à la démocratie, qui que vous soyez. »

« Vous ne pouvez pas faire prêter serment à des personnes qui ne remplissent pas les conditions prévues par la Constitution. Si vous faites cela, vous avez commis une infraction, un acte anticonstitutionnel. Et je le répète, quiconque ne répond pas aux exigences constitutionnelles ne doit pas, ne doit jamais prêter serment. Vous avez mentionné mon nom. Si vous le souhaitez, je peux le répéter. Je suis Datti Baba-Ahmed », a déclaré le candidat à la vice-présidence.

« Même si c’est radical, je le dis à la télévision nationale. Je n’aime pas prendre de risques. Je ne prends aucun risque », a-t-il ajouté.

Les accusations de la NBC

La NBC a reproché à Channels Television d’avoir permis à Baba-Ahmed de faire ces commentaires qu’elle jugeait provocateur. Elle a invoqué le code de la radiodiffusion, notamment la section qui stipule qu’aucune émission ne doit encourager ou inciter, être méprisante à l’égard des sentiments du public ou faire une allusion offensante à une organisation ou à une personne, vivante ou morte, ou, de manière générale, être une atteinte à la dignité humaine.

Ilelah, le chef de la NBC, a ajouté que selon le code de la radiodiffusion, les radiodiffuseurs doivent veiller à ce qu’aucun programme ne contienne quoi que ce soit qui équivaut à une subversion de l’autorité en place. Il a déclaré que la Commission avait demandé à plusieurs reprises à Channels Television de tenir compte de l’intérêt public avant de diffuser un programme. Il a ajouté que cette démarche visait à garantir que le pays ne soit pas plongé dans le chaos.

« Channels Television est par la présente sanctionnée pour les infractions suivantes et devra payer une pénalité de NGN5,000,000 (cinq millions de naira) seulement pour cette première infraction », a déclaré Ilelah, ajoutant que toute nouvelle infraction de la part de la chaîne de télévision entraînerait des sanctions plus lourdes.

« Le paiement doit être effectué dans un délai de deux semaines à compter de la date de réception de la présente lettre, faute de quoi la sanction sera plus élevée », a ajouté M. Ilelah.

Un phénomène récurrent

Ce ne serait pas la première fois que Channels Television, et d’autres stations de diffusion d’ailleurs, sont sanctionnées par la NBC pour avoir diffusé des émissions que la commission juge en infraction avec le code de la radiodiffusion. Les actions de la NBC, considérée comme étant partisane du gouvernement et non indépendante, ont été perçues à de nombreuses reprises comme une atteinte à la liberté de la presse et aux droits des médias au Nigéria.

Le 3 août 2022, par exemple, la NBC a imposé des amendes de 5 millions NGN chacune à BBC Africa et Trust TV pour avoir diffusé conjointement un documentaire dénonçant le banditisme et les enlèvements au Nigéria. Le gouvernement a qualifié la diffusion du documentaire de « dépourvue de professionnalisme », affirmant que ce dernier encourageait la violence.

Le 26 octobre 2020, la NBC a imposé une amende à Arise TV, African Independent Television et Channels Television pour leur couverture acharnée des manifestations #EndSARS. La Commission a déclaré que ces médias ont joué un rôle dans les manifestations contre la brutalité policière qui aboutiront plus tard à la fusillade de Lekki.

Le 26 avril 2021, la NBC a imposé une amende à Channels TV pour avoir diffusé une interview de Nnamdi Kanu, le leader du Indigenous People of Biafra (peuple indigène du Biafra), un sécessionniste qui est actuellement en détention.

La MFWA est particulièrement déçue de la sanction expéditive infligée à Channels TV. Bien que le ton du politicien ait été dur, il n’a pas appelé à la violence, et bien que la NBC puisse être en désaccord avec Channels TV et son invité, elle devait au média le droit d’être entendu avant d’imposer des sanctions.

Le Centre international de la presse (IPC), organisation partenaire de la MFWA au Nigeria, et Media Rights Agenda ont conjointement accusé la NBC de commettre un abus de pouvoir.

« Dans cette affaire, la NBC a de nouveau exercé des pouvoirs quasi-judiciaires de manière injuste, en se faisant à la fois procureur et juge dans une affaire dont elle a été saisie par une tierce partie. Dans les cas précédents, elle a également été le plaignant », ont déclaré les deux organisations dans un communiqué.

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