Déjà fragilisés les médias bissau-guinéens sont frappés par des redevances rédhibitoires

La Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) appelle les autorités de la Guinée-Bissau à revoir les tarifs des redevances récemment annoncés pour l’exploitation des médias dans le pays, car l’augmentation des tarifs risque de décimer le secteur des médias déjà fragile.

Les frais d’acquisition d’une licence d’exploitation pour une chaîne de télévision commerciale à couverture nationale ont subi une augmentation de plus de 7 000 %, passant de 7 millions de francs CFA à 500 millions de francs CFA. Le renouvellement de ladite licence est quant à lui passé de 1 million à 125 millions de francs CFA.

Le coût de la licence d’exploitation d’une station de radio à couverture nationale est également passé de 1,5 million de francs CFA à 10 millions. Le renouvellement est quant à lui passé de 250 000 francs CFA à 2,5 millions, soit une augmentation de 900 %.

Pour les radios communautaires ou religieuses, la redevance initiale de 250 000 est désormais passée à 3 millions de francs CFA. Le renouvellement a également augmenté, passant de 250 000 francs CFA à 750 000 francs CFA.

« Le manque de stabilité politique en Guinée-Bissau au fil des ans a fortement entravé le développement économique du pays. Cela a inévitablement affecté le secteur des médias qui survit à peine grâce à un marché publicitaire minuscule. L’augmentation substantielle des redevances des médias va donc affaiblir davantage le secteur sur le plan financier. Certains organes de presse pourraient être contraints de fermer, et les investisseurs dans le secteur pourraient être découragés. Cette hausse aura des conséquences négatives sur le droit du public à l’information. Nous demandons donc instamment aux autorités de réduire les tarifs », a déclaré Muheeb Saeed, chargé du programme de la liberté d’expression de la MFWA.

Le 18 novembre 2022, les médias bissau-guinéens, en proie à de graves difficultés, ont reçu ce qui pourrait être considéré comme le coup de grâce. Les ministères de la Communication et des Finances ont publié conjointement un communiqué sur les nouveaux tarifs d’exploitation des médias audiovisuels et de la presse écrite. Cette nouvelle disposition est basée sur la nouvelle loi N-13/2022 relative aux licences et à l’octroi de licences de radiodiffusion, adoptée par le Conseil des ministres en juin 2022.

Ce régime de licences constitue indubitablement une grave menace pour la liberté des médias et l’accès à l’information en Guinée-Bissau.

Les médias ne reçoivent pas d’allocation budgétaire de la part du gouvernement comme stipulé dans la loi concernant la taxe sur les télécommunications. Le Parlement de la Guinée-Bissau a adopté la nouvelle taxe sur les télécommunications en tant que mesure fiscale visant à lever des fonds pour stimuler l’investissement public et améliorer les médias nationaux.

Alors que l’investissement attendu et son efficacité se font encore attendre, cette nouvelle mesure est venue s’ajouter aux problèmes rencontrés par les médias, un grand nombre d’entre eux risquant de mettre la clé sous la porte.

Environ 29% des médias opèrent dans des bâtiments loués, payant des loyers mensuels allant de 20 000 à 50 000 francs CFA.  Toutefois, en ce qui concerne les radios communautaires, 75 % d’entre elles ne sont pas en mesure de percevoir plus de 80 000 francs CFA en revenus divers provenant de services tels que les spots publicitaires, les communiqués de presse et les programmes de radios partenaires. Seuls 30% des médias privés ont la capacité de générer un revenu mensuel d’environ 1,5 million de francs CFA, montant qui sert à couvrir les frais de fonctionnement des stations.

La situation est encore plus compliquée pour les structures privées, avec des coûts de location mensuels qui peuvent atteindre jusqu’à 250 000 francs CFA. À cela s’ajoutent les coûts de l’électricité, de l’eau, de l’Internet et du téléphone, dépeignant ainsi, le triste tableau d’un secteur en pleine crise financière.

Au vu de la situation actuelle des médias en Guinée-Bissau, cette mesure risque de compromettre l’exercice de la liberté de la presse et de la liberté d’expression dans le pays.

Le 7 avril 2022, le gouvernement a fermé 79 stations de radio pour cause de non régularisation de leur licence de diffusion. Le délai de 72 heures accordé par le ministre des communications, Fernando Mendonça, visait initialement 88 stations de radio, mais neuf d’entre elles ont réussi à respecter le délai.

Toutes les stations de radio concernées, à l’exception d’une seule, ont repris l’antenne après que le gouvernement de la Guinée-Bissau a accepté de permettre un paiement échelonné des dettes. Cet accord a été conclu à la suite d’une rencontre, qui s’est déroulée le 13 avril 2022, entre une délégation composée de la MFWA et de ses partenaires en Guinée-Bissau, et des représentants du gouvernement.

La hausse des redevances a donc été accueillie avec inquiétude et déception par les acteurs du secteur.  António Nhaga, président de l’Ordre des journalistes de Guinée-Bissau, estime que le gouvernement devrait d’abord créer une politique commerciale pour les médias guinéens, au lieu de prendre des mesures susceptibles de porter atteinte à l’exercice de la liberté de la presse en Guinée-Bissau. Il a qualifié les nouveaux tarifs de déplorables.

« Je trouve regrettable le dernier arrêté conjoint du gouvernement sur les nouvelles mesures d’octroi de licences pour l’exploitation des chaînes de médias dans le pays », a déploré M. Nhaga lors d’un entretien avec la MFWA.

La MFWA se joint à la communauté des médias en Guinée-Bissau pour demander aux parties prenantes de procéder à une concertation, non seulement pour examiner les nouveaux tarifs des redevances, mais aussi pour définir un plan de développement du secteur des médias afin de le rendre viable et durable.

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